Loi anti-squat 2023 : ce qui change vraiment pour les propriétaires et les investisseurs
Il y a encore quelques années, quand un propriétaire m’appelait en panique parce que son bien était occupé illégalement, je savais que le chemin serait long : procédures kafkaïennes, délais interminables, sentiment d’injustice… La fameuse « affaire du squatteur protégé plus que le propriétaire » est devenue un symbole d’un système à bout de souffle.
La loi du 27 juillet 2023, souvent appelée loi anti-squat 2023 (loi Kasbarian-Berg), vient rebattre les cartes. Plus sévère envers les squatteurs, plus encadrante pour les propriétaires, elle va impacter aussi bien le bailleur particulier qui loue son ancien appartement que l’investisseur chevronné qui gère un petit parc de logements.
Que change-t-elle, concrètement, pour vous qui possédez ou projetez d’acheter un bien immobilier ? Quels nouveaux leviers offre-t-elle… et quels nouveaux risques crée-t-elle aussi ? Prenons le temps de tout passer au crible, avec un regard de terrain.
Squat, maintien dans les lieux, loyers impayés : ce que la loi vise vraiment
Avant cette réforme, un grand flou entourait la notion de squat aux yeux du grand public. On mélangeait souvent :
- les squatteurs qui entrent par effraction dans un logement vide ou occupé ;
- les locataires en fin de bail qui restent sans droit ni titre ;
- les défaillances de paiement (impayés de loyers) sans départ des occupants.
Or, juridiquement, ce ne sont pas les mêmes situations, et la loi 2023 les traite désormais de manière plus nette.
Elle renforce fortement la lutte contre :
- l’occupation illicite d’un logement (le squat au sens strict) ;
- le maintien dans les lieux sans droit ni titre après expiration du bail ou décision judiciaire.
Mais en parallèle, elle durcit aussi certains aspects pour les propriétaires qui tenteraient de « se faire justice eux-mêmes » ou qui laisseraient des logements indécents. Un équilibre assez subtil, que les investisseurs ont intérêt à bien comprendre.
Des sanctions pénales fortement renforcées contre les squatteurs
La première grande nouveauté, qui a fait la une des médias, c’est le renforcement des peines encourues pour occupation illicite d’un logement.
Désormais, le fait de s’introduire et de se maintenir dans le domicile d’autrui, par manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, est puni de :
- 3 ans d’emprisonnement ;
- 45 000 € d’amende.
Avant la réforme, les sanctions étaient plus faibles. Le message envoyé est clair : occuper un logement sans droit ni titre n’est plus un « petit délit socialement toléré », mais un acte pénalement lourd.
Autre point important pour les propriétaires : la notion de « domicile » est élargie. Il ne s’agit plus uniquement de la résidence principale, mais aussi :
- de la résidence secondaire ;
- et même d’un logement vacant dès lors que le propriétaire peut démontrer qu’il constitue un domicile potentiel (par exemple un bien en attente de location ou récemment hérité).
En pratique, cela signifie qu’un appartement que vous destinez à la location, mais qui est momentanément vide, est mieux protégé qu’auparavant.
Une procédure d’expulsion accélérée : en théorie, un vrai changement
L’autre grande promesse de la loi : accélérer la procédure d’expulsion des squatteurs, réputée jusqu’ici interminable.
La loi renforce et clarifie la procédure administrative déjà existante, permettant au préfet d’ordonner l’évacuation forcée sans attendre une décision de justice, dans certains cas d’occupation illicite.
Concrètement, pour les propriétaires :
- Vous pouvez déposer plainte et saisir le préfet pour occupation sans droit ni titre.
- Si les conditions sont réunies (occupation illicite, atteinte au domicile, preuves suffisantes), le préfet peut mettre en demeure les occupants de quitter les lieux.
- À l’issue d’un délai réduit (souvent 24 à 72 heures selon les situations), les forces de l’ordre peuvent intervenir pour libérer le logement.
Sur le papier, c’est une révolution pour les propriétaires longtemps coincés entre squatteurs et lenteur judiciaire. Sur le terrain, il faudra cependant voir comment chaque préfecture applique ces textes : certaines sont déjà réactives, d’autres plus frileuses.
Point à retenir pour un investisseur : un bien vide est toujours plus vulnérable qu’un bien loué, mais la loi de 2023 réduit tout de même le risque de blocage sur des mois ou des années en cas de squat.
Fin de la trêve hivernale pour les squatteurs : une protection recentrée
Si vous avez déjà vécu un contentieux locatif, vous connaissez bien la trêve hivernale : cette période (généralement du 1er novembre au 31 mars) pendant laquelle les expulsions de locataires sont suspendues.
La loi 2023 introduit une nuance de taille :
- La trêve hivernale reste protectrice pour les locataires en difficulté, sous bail, parfois en situation d’impayés, dans une logique de prévention sociale.
- En revanche, elle est écartée pour les squatteurs au sens de la nouvelle loi, c’est-à-dire pour les personnes qui se sont introduites et maintenues sans droit ni titre dans un logement.
Autrement dit, si votre bien est squatté en plein mois de janvier, la situation ne sera plus gelée simplement parce que l’hiver est là. Le préfet pourra, en théorie, ordonner l’évacuation, même en période hivernale.
Ce point rassure de nombreux propriétaires qui craignaient un squat durable démarrant juste avant novembre, transformant leur investissement en cauchemar administratif et financier.
Maintien illégal dans les lieux : un nouveau délit ciblant certains occupants
La loi ne s’arrête pas au squat au sens strict. Elle crée aussi un délit de maintien dans les lieux sans droit ni titre pour ceux qui refusent de partir après la fin de leur droit d’occupation.
Par exemple :
- un locataire dont le bail est expiré et qui a fait l’objet d’une décision de justice ;
- un occupant temporaire (hébergé, prêt à usage, etc.) qui refuse de quitter les lieux malgré une mise en demeure.
Ce maintien injustifié pourra être pénalement poursuivi, avec des peines pouvant aller jusqu’à :
- 6 mois d’emprisonnement ;
- 7 500 € d’amende.
La frontière reste délicate : la loi n’a pas pour vocation de criminaliser tous les impayés de loyers. Il s’agit plutôt de viser les situations où, après décision de justice, l’occupant choisit sciemment de rester, au mépris du droit du propriétaire.
Pour un investisseur, cela signifie un levier de pression supplémentaire dans certains dossiers bloqués. Mais attention : ce n’est pas un « raccourci magique » pour éviter les procédures civiles classiques.
Propriétaires : des sanctions alourdies contre l’auto-expulsion sauvage
Face au durcissement contre les squatteurs, certains pourraient être tentés de franchir une ligne rouge : changer la serrure, couper l’eau, débrancher l’électricité, menacer, bref, se faire justice soi-même. La loi 2023 envoie un signal très clair sur ce point.
Les expulsions illégales menées par des propriétaires sont désormais plus sévèrement punies. Sont notamment visés :
- le fait de procéder à l’éviction d’un occupant sans décision de justice ni concours de la force publique ;
- les manœuvres d’intimidation, violences, ou coupures de fluides pour pousser au départ.
Les sanctions peuvent aller jusqu’à :
- 3 ans de prison ;
- 30 000 € d’amende.
En clair : même si vous êtes titulaire du titre de propriété, vous ne pouvez pas « reprendre votre bien » par la force ou par des moyens de pression illicites. La loi vous donne des armes… à condition de rester vous-même dans le cadre légal.
En pratique, pour un bailleur ou un investisseur, cela implique :
- de ne jamais intervenir seul physiquement pour expulser ;
- de passer systématiquement par les procédures légales, même si elles sont parfois fastidieuses ;
- de documenter chaque étape (courriers, constats, échanges) pour se protéger.
Logement indécent, marchands de sommeil : une autre face de la réforme
La loi anti-squat 2023 ne se contente pas de protéger les propriétaires : elle renforce aussi les moyens de lutte contre les logements indécents et les marchands de sommeil.
Pour un investisseur sérieux, c’est une bonne nouvelle… à condition de respecter les règles. Les sanctions sont alourdies à l’encontre des propriétaires qui :
- louent des logements manifestement indignes (insalubrité, absence d’équipements élémentaires) ;
- multiplient les locations abusives à des personnes en grande précarité ;
- refusent d’effectuer les travaux nécessaires malgré des injonctions.
Ces propriétaires risquent des peines de prison, de lourdes amendes, mais aussi des interdictions d’acheter ou de gérer des biens locatifs pendant une certaine durée.
Pour le bailleur « classique », qui entretient correctement son patrimoine, cette partie de la loi ne doit pas être vue comme une menace, mais comme un moyen de rééquilibrer le marché en sortant du jeu certains acteurs toxiques.
Impact pour les investisseurs : un climat plus sécurisant, mais plus exigeant
Revenons à l’essentiel : si vous réfléchissez à un achat locatif, ou si vous possédez déjà plusieurs biens, en quoi cette loi change-t-elle la donne pour votre stratégie immobilière ?
On peut résumer ses effets principaux en trois idées.
1. Le risque de squat est davantage encadré
Le risque zéro n’existe pas, surtout sur des biens vides ou situés dans des zones tendues. Mais :
- les délais de réaction potentiels sont raccourcis ;
- la trêve hivernale n’est plus un « bouclier » pour les squatteurs ;
- les sanctions dissuasives rendent le squat moins attractif pour certains profils.
Pour un investisseur, cela peut rassurer sur les périodes de vacance locative entre deux baux, ou dans le cadre de travaux avant mise en location.
2. La gestion locative doit être plus rigoureuse
Avec le nouveau délit de maintien sans droit ni titre et la pression accrue sur les propriétaires indélicats, vous avez tout intérêt à :
- veiller à la qualité des baux (clauses claires, état des lieux précis, respect des normes) ;
- assurer un suivi réactif en cas d’impayés ou de fin de bail ;
- éviter toute initiative « borderline » pour pousser un locataire à partir.
Un investisseur aguerri ne verra pas cela comme une contrainte, mais comme un rappel : l’immobilier locatif est une activité professionnelle, même quand on ne possède qu’un seul bien.
3. La relation propriétaire–locataire reste au cœur du jeu
Dans la plupart des dossiers compliqués que j’ai accompagnés, ce n’est pas la loi qui a bloqué la situation… mais la rupture de dialogue. Un propriétaire qui ne répond plus, un locataire qui se braque, et la machine judiciaire s’emballe.
La loi anti-squat 2023 durcit les textes, mais elle ne remplace pas :
- une communication claire avec le locataire dès le début du bail ;
- une capacité à chercher des solutions amiables (échelonnement de dette, départ négocié, accompagnement social) ;
- un suivi humain des dossiers, surtout quand un locataire traverse un accident de vie.
Pour un investisseur qui sait conjuguer fermeté juridique et écoute, cette loi est davantage une protection qu’une contrainte.
Comment se préparer concrètement en tant que propriétaire ou investisseur ?
Face à cette réforme, quelques réflexes simples permettent de sécuriser votre patrimoine sans vous noyer dans le code pénal.
1. Vérifier la conformité de vos logements
Avant même de parler squats ou impayés, un bien doit être :
- décent (surface minimale, eau, électricité, chauffage, sécurité des installations) ;
- conforme aux diagnostics obligatoires (DPE, électricité, gaz, etc.) ;
- en état de ne pas mettre en danger la santé ou la sécurité des occupants.
Un logement propre, entretenu et conforme vous protège à la fois contre les risques juridiques et… contre une partie des conflits avec les locataires.
2. Soigner les baux et les états des lieux
Un contrat de location bien rédigé, un état des lieux précis, des quittances régulières, ce n’est pas du formalisme gratuit. En cas de contentieux ou de maintien dans les lieux, ces documents seront votre colonne vertébrale.
Si vous débutez ou si votre parc se développe, n’hésitez pas à :
- vous faire accompagner par un professionnel (agence, administrateur de biens, notaire) ;
- mettre à jour vos modèles de baux à la lumière des dernières lois ;
- archiver soigneusement les échanges avec vos locataires.
3. Anticiper les périodes de vacance
Un bien vide n’est pas seulement une perte de rendement : c’est aussi un terrain plus vulnérable au squat. Pour limiter cette fenêtre de fragilité :
- enchaînez autant que possible les locations avec un délai court entre deux locataires ;
- sécurisez les accès (serrures, portes, éventuellement alarme selon le secteur) ;
- maintenez une présence minimale (visites régulières, voisins informés, boîte aux lettres vidée).
Et si vous devez effectuer des travaux importants, gardez des preuves de votre intention d’occuper ou de louer le bien (devis, factures, échanges avec artisans), utiles en cas de besoin face à l’administration.
4. Ne jamais agir seul en cas de squat ou de conflit dur
Si un jour vous découvrez votre bien occupé sans droit ni titre ou si une procédure d’expulsion s’enlise, le pire réflexe est souvent de vouloir « régler ça soi-même ».
Avant tout geste, pensez à :
- contacter un professionnel de l’immobilier ou un avocat ;
- déposer plainte si nécessaire et saisir la préfecture ;
- respecter scrupuleusement les étapes légales, même si cela semble plus long sur le moment.
La loi anti-squat 2023 vous donne de nouveaux outils, mais elle surveille aussi la façon dont vous les utilisez. Un accompagnement compétent coûte toujours moins cher qu’une procédure pénale subie.
Vers un marché locatif plus serein ?
Cette loi anti-squat 2023 ne va pas, par magie, effacer tous les conflits entre propriétaires et occupants. Mais elle modifie clairement le rapport de forces, notamment dans les situations les plus extrêmes, où des biens étaient bloqués des mois durant.
Pour les propriétaires et investisseurs sérieux, respectueux de leurs obligations, c’est une évolution qui va plutôt dans le bon sens : plus de prévisibilité, plus de réactivité possible en cas de squat, et une volonté affichée de cibler les comportements abusifs, des deux côtés.
Reste que l’immobilier n’est pas seulement une affaire de lois : c’est avant tout une affaire de personnes, de projets de vie et de confiance. Une bonne connaissance du cadre juridique est un filet de sécurité ; une gestion humaine et rigoureuse au quotidien reste la meilleure assurance contre les mauvaises surprises.
Si vous envisagez un investissement locatif ou si vous vous interrogez sur la protection de votre patrimoine au regard de cette nouvelle loi, n’hésitez pas à vous entourer : un regard expérimenté permet souvent d’éviter bien des écueils… avant même qu’ils ne deviennent des affaires de squat.
